top of page

De quoi le coaching est-il devenu le symptôme ?

 

En vérité il faudrait augmenter la trilogie d'une quatrième figure qu'on pourrait baptiser guilt. Guilt, c'est le mouvement de retournement contre soi par lequel le salarié introjecte la violence institutionnelle-capitaliste qui lui est faite en se mettant en cause lui-même. Guilt connait deux modalités. Therapy - le salarié se pense comme insuffisant et entreprend de se soigner : se vivant comme mal adapté, il se rend à l'idée que ce n'est pas l'environnement odieux auquel il est sommé de s'adapter qui doit être changé, mais lui-même, et qu'il lui appartient de faire le chemin de l'adaptation - terrible fatalité de l'émiettement individualiste du salariat puisqu'il est bien certain que, seul, nul moyen n'existe de changer l' "environnement" et que nulle idée politique d'un tel changement ne peut naître : il ne reste plus que soi à mettre en cause."

 

Frédéric Lordon est membre du collectif "les économistes atterrés". Qu'on adhère ou pas à ses choix politiques et économiques, qu'on soutienne ou qu'on condamne les actes à l'origine de cet article, on doit bien comprendre la portée de ce qui y est dénoncé, à savoir la violence d'un environnement dont les salariés sont de moins en moins les contributeurs. 

 

Pour Lordon, c'est donc la Guilt qui maintient le salarié dans un silence plus proche du baillon que de l'adhésion. C'est là que le coach intervient. Comme  un symptôme.

​

D'autres voix s'élèvent pour dénoncer non plus l'intervention du coach quand il s'agit d'adapter le salarié, mais celle du psychologue quand un salarié est reconnu en souffrance.

 

Lise Gaignard, dans un article du monde au titre volontairement provocateur ("souffrance au travail : oubliez le psychologue !"), explique ce transfert de responsabilité. Envoyer le salarié chez le psychologue, c'est lui demander de reconnaître chez lui une faille, une faiblesse qui le rendent inapte à continuer. Cette idée fait son chemin puisqu'au sortir de leurs études commerciales, de nombreux stagiaires considèrent aujourd'hui que le recours au psychologue révèle au collaborateur qu'il n'est pas à sa place. Ancrée dans l'esprit de cette jeunesse pleine d'une ambition de son âge et confrontée à une concurrence entre pairs forcément déloyale, l'idée témoigne aussi d'un durcissement des relations entre des futurs salariés que la perspective d'un nouveau darwinisme social ne révolte plus. C'est à ce glissement que les médecins du travail, les syndicats, les psychologues et l'ensemble des acteurs de l'entreprise sont confrontés car la réponse constitue alors une violence ultime pour le sujet en rupture avec son environnement immédiat.

 

Le néo-libéralisme ne fabrique sans doute pas des monstres. Mais il favorise l'émergence de comportements déviants que rien ne vient plus réguler puisqu'en dernière analyse ces déviances maintiennent les conditions d'une apparente paix sociale. Ce sont ces comportements déviants que le salarié en souffrance dénonce en silence. Il devient alors le symptôme d'une équipe et se fait lanceur d'alerte malgré lui. Envoyer ce lanceur d'alerte chez un "psy" revient à le neutraliser, et à inverser mécaniquement la relation de cause à effet dans le processus qui a conduit une équipe à extraire l'un des siens.

​

​

Ce n'est donc pas tant le confort du salariat qui doit être questionné que le modèle choisi par les directions. L'entreprise a longtemps été en capacité de prendre en charge au sein de ses organisations les personnalités les moins adaptables, par un contrat social tacite qui laissait un droit à l'impertinence supposée. Menacée par une concurrence souvent féroce et mise en état de survie, l'organisation n'a plus le loisir de se perdre en considérations philosophiques, c'est en tous cas ce qu'elle croit. Doit-on souscrire à cette vision réductrice ou au contraire considérer qu'il est possible de maintenir exigence et savoir-faire en s'appuyant au contraire sur ce que l'organisation compte de géniale créativité et de loyale résistance ?  Pour l'instant les indicateurs ne sont en tous cas pas très rassurants.

​

Quand Frédéric Lordon, économiste et sociologue, directeur de recherche au CNRS et chercheur au centre de sociologie européenne, écrit dans le Monde diplomatique : "Pourquoi en dernière analyse, le capital règne-t-il sur les individus ordinaires ? Parce qu'il a les moyens de leur faire courber la tête. Le socioéconomiste Albert Hirschmann a résumé d'une trilogie frappante, mais peut-être insuffisante, les attitudes possibles de l'individu en situation institutionnelle : Loyalty, voice, exit.

Loyalty comme son nom l'indique / Voice quand on choisit de l'ouvrir - mais jusqu'où quand l'institution est l'entreprise capitaliste ? / Exit quand on ne se sent plus le choix que de prendre le large - mais à quel coût quand "le large" signifie l'abandon du salaire qui fait vivre ? 

bottom of page