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Est-ce qu' être "lacanien" c'est "être contre" ?

Pour une vue résumée de la situation, on peut lire cet article

Ce questionnement concerne le positionnement de la psychanalyse telle que ceux qui ont été formés à l'enseignement de Lacan la conçoivent - son positionnement, sa posture, sa place, son rôle, on le dira comme on voudra. Il est question de se demander de quelle manière ils interviennent dans le débat public, depuis quelle place, et sur quel ton.

 

Parce qu'elle ne peut exister que par la conviction de qui s'y risque, la psychanalyse a connu un déclin de sa crédibilité assortie d'une crise de confiance souvent alimentée par les medias.

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Elle est pourtant consultée lors de grands débats de société, on peut à titre d'exemples écouter l'introduction du sénateur Jean-Pierre Sueur à l'occasion d'une audition au Sénat du 12 mars 2013 (le mariage dit pour tous) ou l'ntervention du 5 février 2013 sur le même sujet. , celle  rendue au Conseil économique social et environnemental du 12 août 2014  (la violence faite aux femmes) ou enfin celle du 15 octobre 2015 (impact du chômage sur les personnes et leur entourage.

 

Si les institutions lui renouvellent régulièrement leur confiance, et ce malgré l'amendement Accoyer qui a au moins eu l'avantage d'imposer de nombreux débats, du côté des medias et des salariés d'entreprise la tendance reste à la méfiance, voire à l'ironie.

 

Souvent interrogé sur son positionnement, le psychanalyste s'aperçoit bien vite que lorsqu'il  s'agit de prendre la parole pour expliquer ce qu'est la psychanalyse, ce qu'elle n'est pas, ce qu'elle défend, ce que parfois elle dénonce, il a le choix entre parler une langue incompréhensible pour son interlocuteur, ou se livrer à un exercice de vulgarisation réducteur au point de ne pas faire entendre l'essence même de ce qui constitue son éthique.

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Les caricatures sont nombreuses, depuis les spots publicitaires qui inversent la place de l'analyste et celle du patient/analysant, inversion qui dit quelque chose de la perversion d'un discours dominant, jusqu'aux oeuvres cinématographiques qui continuent à semer la confusion et à entretenir le fantasme d'un psy dévoreur de billets de banque installé dans un bureau luxueux et tout enveloppé de mystère... Sans parler du philosophe Michel Onfray qui n'aide pas ceux qui ne se reconnaissent pas dans la caricature qu'il en fait, quand il déclare au cours d'une conférence et en présence de Boris Cyrulnik que "le psy c'est finalement un ami à qui on donne beaucoup d'argent".  

 

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Ca n'a pas toujours été comme ça. La psychanalyse a eu son heure de gloire. Elle a été vantée dans les années 70/80, elle était même à la mode. A cette époque il "fallait" avoir fait une analyse, plus encore, il fallait avoir fait une analyse avec... défilait alors une liste de noms incontournables. J'ai été frappée par le récent récit d'un homme, coach en organisation et féru de techniques anglo-saxonnes de communication qui m'a expliqué : "Mes parents ont fait une analyse quand j'étais adolescent (ce qui situe les événements dans les années 80). J'ai pas eu l'impression qu'ils étaient plus heureux après qu'avant." La tristesse du constat était sincère. Je ne me suis pas senti le courage de lui expliquer que le bonheur peut ne pas être la finalité d'une analyse. Qui peut entendre ça aujourd'hui ?

 

On peut penser que comme tout phénomène de mode, la psychanalyse affronte l'après-coup qui se caractérise par un rejet massif. Pour ce qui est du rapport à Lacan, le démontage de l'idole a été bruyant. Il semble bénéficier d'une trève qu'on voudrait durable.

 

Mais l'honnêteté intellectuelle doit nous encourager aussi à l'autocritique.

 

Me revient l'embarras dans lequel m'ont plongée quelques rencontres pourtant décisives. Me revient l'inconfort, alors que nouvellement inscrite dans la grande tradition psychanalytique il m'a été demandé de manière implicite de me positionner dans le débat qui opposait Michel Onfray et Elisabeth Roudinesco. De quel côté me situais-je ? Dans quel camp ? La question n'a certes jamais été posée, mais par les réponses annexées au contrat verbal qui était en train de s'écrire, j'étais mise en demeure de me placer. Je me souviens aussi d'un groupe de "lacaniens" brillants et téméraires dans lequel un niveau de sarcasmes suffisant devait être maintenu quand il s'agissait d'évoquer Jacques Alain Miller. A l'initiative de ce groupe se trouvait un élève de Lacan qui avait refusé comme beaucoup d'autres en son temps une filiation dont tous continuent à questionner la légitimité. Le totalitarisme de certains membres influants, non cliniciens mais excellents théoriciens, a alors eu raison de ma patience. Il faut dire qu'Onfray et Roudinesco ne trouvaient pas non plus grâce à leurs yeux.

 

Ces années d'observation silencieuse me conduisent aujourd'hui à interroger le rôle des continuateurs du minutieux travail de Lacan. L'idée qu'il se faisait de la psychanalyse, qualifiée à tort mais aussi à raison de conservatrice par ses critiques, et qu'on découvre dans le même temps subversive, se heurte au choix de modalités de transmission parfois décevantes de la part de ceux qui en parlent.

 

Finalement, cette position en "contre" ne serait-elle pas pure convention ? Et cette façon de penser la psychanalyse n'est-elle pas juste constitutive de la fonction d'analyste lacanien ? L'idée dérange. Est-ce qu'on doit justifier les querelles et la brutalité des propos en se contentant d'un sympathique mot-valise, celui de "frérocité", comme l'ont fait les auteurs du numéro 30 de la revue Littoral paru en octobre 1990 afin de localiser l'ensemble des analystes dans un lieu fait de féroce fraternité qui favoriserait le rapport de forces contraires parfois très violentes ?

 

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Etre psychanalyste "lacanien" aujourd'hui ne devrait pas se limiter à "être contre" sous prétexte qu'on n'est pas pour. Le pas de côté revendiqué par les cliniciens devrait être fait quand il s'agit d'aborder la question du statut épistémologique de la théorie psychanalytique, quand il est question aussi d'envisager ce qu'elle sera demain, quand enfin il devient nécessaire de se livrer à une critique raisonnée de certains de ses actes bel et bien manqués. 

 

 

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